« Je n’ai jamais réussi à être comme eux. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de comprendre ce qu’ils racontaient être ma tâche suprême, ma raison de vivre, d’avoir tenté de rentrer dans les rangs, et de courber l’échine. Mais il y a toujours eu ce petit défaut dans mon esprit, cette obsession qui m’appelait de dehors à la rejoindre, cette voix suave et curieuse qui me faisait admirer les nuages quand je devais fixer le sol. C’est cette voix, m’invitant à une tâche bien moins dénuée de sens que la leur, qui m’a tirée de toutes ces forces et m’a permis de m’échapper. »

Avant, Yong Hae était un rebelle – pas de ces rebelles qui se déchirent les habits et se mettent de l’eye-liner pour faire genre baby-rocker. Un vrai, de ceux qui renient leurs familles et les traditions irrationnelles que l’on écrase sur eux, qui prennent leurs destins en main et qui s’enfuient vers un ailleurs idéal. Il avait trouvé cette énergie en lui, à 15 ans ; né dans une famille ultra-conservatrice de sang-purs, il avait pourtant été destiné, comme tous ses frères, sœurs, cousins, oncles, tantes, parents, et grands-parents avant lui, à rester cloîtré au sein du manoir familial austère de Daegu et à se faire enseigner la magie, blanche comme noire, par sa famille. « Akiwa » était alors impensable.

Seulement voilà. Yong Hae est un artiste : sa tête n’a jamais tourné aussi rond que ses proches l’auraient voulu – et, là où eux intégraient les règles familiales sans problèmes, lui n’y arrivait pas. Après avoir reçu une lettre l’invitant à rejoindre Akiwa, et après de nombreuses disputes plus ou moins violentes avec ses parents, il a fui le manoir, cette espèce de cocon en fil barbelé qui l’étouffait, en emportant sans le faire exprès dans ses bagages un des serpents que sa famille de dingues élevait – Len. Len n’a jamais quitté Yong Hae depuis, d’ailleurs. Pourtant, ce n’est pas le grand amour entre eux – enfin, surtout du point de vue du jeune homme. Devoir prendre soin tous les jours d’une relique de son passé ne l’enchante que moyennement ; mais Len n’est pas méchant, et Yong Hae se prend parfois à tenter de lui siffler les quelques mots de Fourchelangue qu’il a retenu d’oreille, histoire de voir sa réaction.

Aujourd’hui, Yong Hae est l’artiste attitré d’Akiwa. A la fois poète et peintre, rêveur, mélancolique et épicuriste, il n’est pas rare de tomber sur lui, affalé sur un fauteuil de la salle commune, en train de siroter un verre de vin ou de liqueur de luxe (fournisseur secret, chut), le petit doigt en l’air, tout en gribouillant de l’autre main sur son carnet. C’est une réelle méduse qui se laisse porter au gré du mouvement dans lequel il baigne – à se demander où l’énergie qu’il avait à 15 ans est passée. En réalité, ce qu’il souhaite par-dessus tout, c’est de la paix. Il considère que sa vie a déjà été suffisamment compliquée à gérer étant plus jeune et ne se prend plus la tête pour quoi que ce soit maintenant qu’il a trouvé à Akiwa cette liberté qui est son oxygène.

Yong Hae a beau avoir été capable de faire des choix drastiques en fonçant la tête la première à une certaine époque, il n’en demeure pas moins très réfléchi – à fortiori maintenant qu’il a dépassé la vingtaine. Son parcours l’a amené à être une boule d’amertume et de cynisme ambulante. Dans la vie de tous les jours, il préfère la jouer cavalier seul ; son caractère est celui d’un leader, mais méduse-attitude oblige : être actif socialement est bien le cadet de ses soucis. N’ayant plus de liens avec sa famille, il ne comprend pas trop l’intérêt que portent les autres aux relations humaines. La famille, niet. Les amis, bof. Les femmes… Là est peut-être l’exception.
Yong Hae ne peut rien y faire, ses instincts d’artiste (et d’homme ?) finissent systématiquement par reprendre le dessus. Le jeune homme est fasciné par le corps féminin. Beaucoup de filles de l’école ont déjà posées pour lui sans aucun problème ; il faut dire que, avec ses manières de dandy gentleman un peu décalées, rares sont celles qui résistent à son charme. YongHae ne parle pas beaucoup, est énigmatique, magnétique, charismatique ; et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela lui réussit.