Il n'y avait peut-être aucun mot pour définir son état de profond désespoir face à cette masse de personne. De la solitude peut-être ? Oui, un vague moment de solitude en se disant « Tiens, j'aurais peut-être dû y aller un petit peu plus tard ». Mais le mot était encore trop juste : pas assez précis pour définir cette sensation. Il n'avait qu'une envie, c'est d'être seul, et ces masses de personnes toutes aussi crétines les unes que les autres l’agaçaient profondément. Bien, il ne fallait faire qu'une simple chose, garder son calme et ne regarder personne dans les yeux, pas une seule personne n'allait pouvoir croiser son regard bleuté aujourd'hui. Personne.

La matinée n'avait pas très bien commencée. Les cours du samedi matin, comme tous les cours d'ailleurs, gavaient profondément le jeune homme. Barthélémy ne restait qu'en classe que pour regarder par la fenêtre -le ciel a décidé qu'il serait proche de la fenêtre, une bénédiction pour lui- les deuxièmes d'années se bagarraient dehors, sous une mince pluie. Vous savez, cette pluie qui ressemble à un crachat et qui vous fait attraper du mal, sous les nuages grisâtres. La météo ne l’empêchait pourtant pas d'admirer les réactions humaines et il portait un certain intérêt au combat. Peut-être aurait-il eu besoin de se concentrer sur la question que le professeur lui avait posé, ce jour-là. Les réprimandes... n'ont jamais été les choses qu'il appréciait. Cette fois-ci, le blondinet s'était retenu de répondre quelque chose de blessant ou une remarque ironique. Pour une fois, il avait fermé sa bouche, et encaissait les remarques sans rien rajouter. Que rajouter de plus, après tout ? « Mon avenir sera mauvais, je sais, et alors ? », ne sonnerait que mal et ça ne passerait certainement pas... Ah, pourvu que ce cours se termine et qu'on puisse sortir manger un peu...

Une sonnerie, et puis un énorme brouhaha. Les élèves de sa classe n'avait pas fait un quart de tour qu'ils étaient déjà tous partis de la classe, laissant Lemy en dernier, pour changer un petit peu. A quoi ça servait de se presser à sortir en cours ? Le professeur n'allait pas faire une interrogation surprise à la dernière minute de cours, c'était crétin. Puis, quand on est interne, on a moins le droit d'aller dehors, voire plus du tout. Alors, rendez-vous, cinéma, shopping, match quelconque, toutes ces choses d'« adolescent » n'intéressait pas Lemy et n'était pas dans ses priorités. Raison de plus pour prendre son temps.

Lorsqu'il rentra dans le réfectoire, lieu habituellement légèrement rempli, sans plus, Lemy ne s'attendait pas à voire une masse impressionnante de lycéens. Il semblerait qu'ils aient tous décidé d'oublier leur argent ce jour-là, ou peut-être était-ce la pluie qui les empêchaient de manger en ville. Qui sait. Pas très haut, peu imposant, Lemy dut feinter pour se trouver une place meilleure dans la queue, il garda fermement son plateau en main, ignorant les réprimandes de quelques « poufs » qui gémissaient dans son dos. Et si vous aviez un soucis, il fallait le dire en face, mes chères... Ou simplement se taire. Oui. Juste, taisez-vous...

Il n'avait même pas adressé un regard à la cantinière, qui, visiblement, était habituée à ce genre de comportement assez désagréable. Mais je pense que personne n'a entendu son vague « merci », preuve qu'il n'était pas tout à fait déconnecté du monde extérieur. C'est un pas de plus vers l'avenir, n'est-ce pas ? Allez, estimez-vous heureux de cette petite gratitude, vous n'allez pas en voir souvent, mesdames et messieurs. Après avoir enfin récupéré son plateau avec un menu juste et équilibré, -pas très varié, par contre-, Barthélémy fit du repérage rapide pour jauger des places restantes. Le réfectoire était définitivement plein à craquer, et il ne repérait aucunes tables de libres. Une place était perdue par-ci, par-là. Pas de tables en entières. Des groupes d'amies attendaient, le plateau dans les mains, qu'une table entière se dégage. Elles allaient certainement attendre longtemps.

Miracle, au plus profond de la salle, se trouvait une table pour six ne possédant que deux personnes en train de manger. Deux jeunes filles, qui parlaient entres elles. Lemy ne se remua pas plus les méninges que ça qu'il était déjà en direction d'une place de libre, en pivotant parmi les élèves, en cognant parfois quelques secondes années, et en ignorant les pions qui faisaient la loi. En s'approchant un peu plus, il comprit rapidement pourquoi les places autours des deux jeunes filles n'étaient pas prises ; celles-ci avaient les jambes entrelacées, une de leur main tenant celle opposée à son interlocutrice, se lançant des regardes amoureux et en parlant d'une voix douce et peu puissante... Un couple, génial. Charmant. Merveilleux. Il fallait qu'il tombe sur un couple. Le temps de lever les yeux au ciel, il s'installa à coté d'une des jeunes filles, laissant une place de libre entre l'un d'entre elles et son plateau. Il ne lui adressa pas un regard, il planta simplement ses baguettes dans son riz et tourna, tourna, sans s'arrêter la mixture blanche. De vilaines pensées étaient revenues plus vite qu'il ne le souhaitait, et, le regard vide, il se mit à ne plus entendre ses camarades de l'établissement. Mode autiste... /ON/