Mon existence n’a jamais été une continuité. Il y a eu des pics, des moments faciles et des plus difficiles. Il y a surtout eu un avant et un après. Avant que je ne découvre la réalité de mon existence, j’étais la petite fille parfaite et modèle. Comme je suis née dans une famille sang-pur de la haute société, une famille à la fois riche et terriblement fière, on m’avait éduqué pour que je sois comme on voulait que je sois. J’étais dans un moule, je n’avais aucune liberté. Je n’ai plus beaucoup de souvenirs de cette époque, mais je ne pense pas que cela me gênait. Je voulais que mes parents soient fiers de moi, après avoir vu mon frère aîné être engagé au Ministère de la Magie. Mon deuxième frère aussi était brillant, même s’il était plus proche de moi en âge. Alors moi, après ça, j’obéissais aveuglément à tout ce qu’on m’ordonnait de faire. Je ne me posais pas de question. J’étais calme, gentille, polie. On me disait que les « Sangs-de-Bourbes » ne méritaient pas de vivre et je les croyais. J’étais un pantin dont on ne se lassait pas de tirer les ficelles.

Erreur. Je ne devrais pas blâmer l’enfant que j’étais. Après tout, je ne pouvais pas savoir. J’évoluais dans un environnement que j’avais toujours connu, le reste n’était que brouillard et inconnu pour moi. Pourtant je ne peux pas m’empêcher de m’en vouloir. J’étais trop naïve, innocente, je ne savais pas.
Un jour tout fut chamboulé et après ça, rien ne fut plus jamais pareil.

Je devais avoir environ quatorze ans. C’était peu avant mon entrée à Akiwa, je m’en rappelle encore clairement, comme si ça s’était passé hier. Je me revois encore, dans ma jolie robe, arriver devant la chambre de mes parents et lever la main, pour y frapper doucement. Sauf que je n’en ai jamais eu l’occasion. Avant même que mes doigts n’aient touché la porte, alors entrouverte, j’entendis des bribes d’une conversation que ma mère tenait avec mon père. Je n’ai pas tout entendu, juste qu’ils parlaient de moi. Ils me critiquaient sous tous mes aspects, j’étais une « petite sotte inutile », un « monstre qui n’aurait jamais dû voir le jour » ; ils me blâmaient surtout de ne pas avoir été un garçon. Une fille ne leur était d’aucune utilité.
A cet instant là, alors que mes parents ignoraient totalement ma présence, quelque chose s’est brisé en moi. Inutile ? Un monstre ? Était-ce bien de moi dont ils parlaient ? Je n’ai pas voulu le croire. Pourtant, je ne pouvais m’ôter ces mots de mon esprit. Bientôt, je fus totalement convaincue et je ne vis en eux plus rien d’autres que des géniteurs. Tout s’éclaira alors. Leurs gestes aimants et chaleureux n’avaient jamais été comme tels, je le voyais clairement. Ils semblaient se forcer en ma présence, comme si je les dégoûtais au plus au point.
Après ça, je ne fus plus jamais la même. J’ai cessé de leur obéir et j’ai perdu toute confiance. Je n’avais plus aucun repère. A cette époque-là, je n’avais plus qu’un de mes frères sur qui je pouvais compter. J’entrai donc à Akiwa complètement perturbée. Les seuls êtres à avoir une quelconque autorité sur moi étaient mes professeurs, que je respectais. J’étais entrée dans une phase rebelle en ce qui concernait tout le reste, une phase qui perdure encore jusqu’à aujourd’hui. Je ne suis pas foncièrement méchante, mais j’ai comme le besoin de devoir rattraper tout le temps que j’ai perdu lorsque j’étais encore leur pantin. J’ai besoin de faire des bêtises, de faire du mal, aussi bien à moi qu’aux autres, pour me sentir libre et vivante. Sentir que je ne suis plus sous leur emprise. Je crois aussi que j’ai envie de me venger envers ceux qui ont gâché mon enfance et le reste de mon existence. Ils avaient fait de moi une petite poupée de porcelaine, bien habillée, mignonne, adorable. Mais la poupée s’est brisée. Je me suis forgée une carapace, pour ne plus être blessée. Une fois que l’on a été désillusionné, on fait tout pour que cela ne puisse pas se reproduire. J’ai tendance à me montrer très froide envers les autres. J’ai aussi développé une manie de la manipulation, je parviens à me mettre les gens facilement dans la poche. Je crois que j’ai hérité de la fierté de ma famille… Les gens me croient forte, mais au final, ce n’est qu’un triste masque. Je ne suis rien de tout ça. Je suis juste une jeune fille sensible, qui le cache, blessée. Ceux qui me connaissent vraiment – et ils ne sont pas du tout nombreux – disent souvent que je suis quelqu’un d’adorable et que je cherche simplement à me blesser. Je ne sais pas quoi penser. Je ne sais plus. Pourtant, même si je mène la vie dure à ma famille, si je leur fais comprendre que je les déteste, je continue à me surpasser. Je crois qu’inconsciemment, je ne veux pas accepter le fait qu’ils ne veuillent pas de moi ; je veux qu’ils soient fiers de moi, qu’ils me prennent dans leurs bras et me disent que je suis extraordinaire. Je crois que j’ai besoin de cette reconnaissance. Mais jamais je ne l’aurais. Jamais.