Elle avait, elle aussi, laissé le silence s'installer. S'était laissée plonger dans ses pensées, dont il ne pouvait deviner la teneur. Que n'aurait-il pas donné pour le savoir, pourtant. Que n'aurait-il pas donné pour la connaître par cœur. Il fut un temps, et il lui était douloureux d'en avoir conscience, où c'était bien le cas, où chacune de ses expressions lui révélait mille choses sur elle, et sur ce qu'elle pensait. Il était capable de prévoir la moindre de ses réactions, bien qu'elle le surprit toujours, de temps en temps. Aujourd'hui, alors qu'elle se tenait face à lui, il retrouvait des sourires et des lueurs dans ses yeux, qui lui inspirait la plus douce, et la plus terrible aussi, des nostalgie. Mais il n'était plus sûr d'en connaître l'exacte signification, ni de pouvoir prévoir ce que seraient ses prochaines paroles.
Sa question semblait l'avoir ramenée à la vie, et en même temps que le silence se brisait, le malaise s'estompait, et ils se retrouvaient seuls au monde, comme ils avaient toujours aimé le faire. Quelques murmures lointains se faisaient entendre, mais jamais personne ne venait longer le jardin, aussi perdu qu'ils l'étaient eux-mêmes. Et c'était là une bonne chose, puisqu'ils avaient grand besoin d'être seuls, ou les mots qui devaient être dits, sans doute, jamais ne sortiraient. « Sa Majesté est une femme que j’aime sincèrement. Elle est… Telle qu’une reine doit être. Je pense. » Il hocha la tête, n'écoutant que distraitement sa réponse, tout concentré qu'il était dans la contemplation de son amie, chose dont il n'avait probablement qu'à peine conscience. C'est qu'il y avait toujours cette peur, au fond de lui, de la voir le quitter, pour cette fois ne plus jamais lui revenir. C'était idiot, il le savait, il aurait mieux fait, au lieu de craindre l'invisible, d'ouvrir grand ses oreilles et de s'abreuver des moindres mots de Lirith, de ses rires et de sa simple présence à ses côtés. Si elle devait s'en aller demain, il n'aurait qu'à la poursuivre et l'arrêter, comme il n'avait pas su le faire deux ans plus tôt. Ainsi en voulait-il davantage à lui-même qu'à son amie, qui n'avait fait que son devoir quand lui s'était retranché dans sa mauvaise humeur, et sa lâche rancœur. Il cessa là ses noires pensées et, tant bien que mal, se raccrocha à la voix de la jeune femme, pour ne plus risquer de s'y enfoncer. C'était sans compter celle-ci, qui su fort bien lui rappeler, que ce n'était plus à lui de la protéger. « Elle se soucie énormément de ma sécurité (...) » Moi aussi pourtant, pensa-t-il tout bas, mais comment pourrait-il jamais prétendre à nouveau au titre de protecteur, lui qui ne savait rester en place et dont les rêves étaient noirs ? Les mises en garde d'Allistair lui revinrent en mémoire, et il comprit soudain pourquoi ce dernier avait finalement renoncé à rejoindre le Mur. S'il faisait cela, s'il s'engageait, on ne lui permettrait plus de redescendre, et il la perdrait pour toujours. Si ses parents, ses frères et sœurs de sang, le seraient toujours, il craignait que les seuls liens du cœur ne tiennent pas une vie, face à la distance et l'absence. Et comment pouvait-il seulement souhaiter cela, quand Lirith méritait un bonheur absolu, sans ses doutes et ses faiblesses à lui pour l'entacher... « Et ne sois pas mauvaise langue, jamais je ne prendrai sa place. Mais ta fierté me touche, alors je t’excuse. Je suis une geôlière compréhensive parfois, malgré ma cruauté sans égale. » Elle le rappela à elle, et il releva les yeux vers les siens, alors qu'elle tournait la tête vers lui. Instinctivement, il lui sourit et leur regard s'ancrèrent à nouveau l'un à l'autre, comme l'assurance d'une amitié éternelle, malgré tous les regrets et tout ce qui pourrait à nouveau les éloigner. Ne se retrouveraient-ils toujours pas comme aujourd'hui ? Ils avaient grandi ensemble, après tout, avaient parcouru les mêmes couloirs, les mêmes jardins, sa mère à lui avait été celle, durant un moment, de son amie également. Comment pourraient-ils jamais n'être que des étrangers ? Cette pensée l'apaisa, il voulait y croire et savait, au fond de son cœur, qu'elle n'était que vérité, qu'ils étaient liés par d'indéfectibles sentiments, même si celui qui était à présent le plus fort serait celui à taire à tout jamais.

« Tu m’en veux toujours, n’est-ce pas ? » Sa question le laissa coi. Où était donc passée la lueur taquine qui vivait dans ses yeux quelques secondes seulement plus tôt ? Pourquoi était-elle soudain si grave, alors même qu'il venait de lui sourire ? Lui semblait-il si amer ? Avait-il l'air de lui en vouloir si fort qu'elle ne parvenait pas à croire en sa joie de la retrouver ? Il s'en voulu soudain comme jamais, honteux de gâcher son bonheur, lui qui avait toujours souhaité en être la principale cause. Il se releva vivement, soudain incapable de soutenir le regard désolée de son amie, et fit quelques pas dans le jardin s'éloignant d'elle et de ses muettes accusations. C'était comme un couteau que l'on remuait dans la plaie de son cœur, et il ne pouvait que pincer les lèvres pour en atténuer la douleur. « Excuse-moi. » Il ferma les yeux, scellant le plus fort qu'il le pu ses paupières, pour ne pas laisser éclater sa colère. La rage folle qu'il nourrissait à son encontre depuis qu'il s'était laissé aller à lui en vouloir, à elle, sa plus précieuse amie, comme s'il en avait jamais eu le droit. Elle s'excusait, et lui ne s'en trouvait que plus ignoble, indigne de ses sourires. Vivement, il se retourna, n'osant pourtant reprendre sa place à ses côtés. Ses yeux passèrent de sa chevelure noire à ses vêtements, n'osant croiser son regard, de peur d'y voir à nouveau des excuses qu'il ne méritait pas. « Je t'en ai voulu. » commença-t-il finalement, alors qu'il s'approchait à nouveau. « Mais très peu de temps. Ta décision était sage, réfléchie, c'était ton père et nous n'étions qu'une famille d'adoption. C'était ton devoir de le suivre, c'était la bonne décision, peu importe que j'ai été vexé ou non, nous savions tous que tu pensais agir pour le mieux. » Il s'agenouilla près d'elle, tête basse et une expression humble sur le visage. Il faisait de son mieux pour ne pas croiser son regard, craignait ce qu'il pourrait y trouver. « C'est à moi de m'excuser, pour l'égoïsme dont j'ai fait preuve, même si je ne le regrette qu'à moitié. » Il soupira, avant de s'asseoir enfin à la place qu'il avait quitté un peu plus tôt, et d'oser plonger à nouveau ses yeux dans ceux de son amie, qui n'avait pas bougé, semblait attendre un pardon qui ne viendrait jamais, puisqu'il n'en avait aucun à accorder. « J'aurais tant aimé que tu restes, Lirith, que tu ne t'en ailles jamais. Je crois... que j'aurais pu renoncer à bien des choses pour voir ce souhait se réaliser. Ces deux années m'ont semblé sans fin. » Et à lui d'offrir un nouveau sourire, timide, peu sûr de la réponse qu'elle aurait à lui offrir, ni de ce que ses mots pouvaient laisser deviner de ses réels sentiments.